Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/519

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Il y a entre nos deux destinées, quelque chose qui ne va pas, qui frotte, qui accroche. C’est bête comme chou, mais c’est ainsi. Je vais vous exposer l’affaire ; elle est en somme plutôt comique.

Simond père et Simond fils fréquentaient chez Alphonse Daudet. Nous étions donc, comme on dit, en bons termes et je n’avais pour Henry Simond ni amour, ni haine, ni sympathie, ni antipathie et je pensais que ses sentiments étaient les mêmes. Or, en avril 1896, — je précise, comme faisait Rochefort, — me trouvant à Venise avec mes parents, j’ouvre un matin l’Écho de Paris, où se trouvait un dessin de Steinlen, me représentant en train de lécher les bottes de Monseigneur le Duc d’Orléans. Cette saleté était intitulée : « Sous l’œil des Morticoles ». C’était la réponse à un article de moi dans le Figaro, où je parlais de la Famille d’Orléans, avec le respect que doit lui témoigner tout Français, même non royaliste. Car je n’étais pas royaliste à cette époque. J’étais jeune, plus impressionnable que maintenant. Mon indignation fut vive et mon père la partagea. Je ne comprends pas encore aujourd’hui à quoi rimait cette vaine grossièreté. Je courus au télégraphe et adressai à Henry Simond une dépêche un peu vinaigrée, lui annonçant mon prochain retour. Sitôt débarqué à Paris, je lui envoyai mes témoins, Georges Hugo et Maurice Barrès, car Steinlen, Montmartrois comme Panurge, refusait bien entendu toute espèce de réparation. Simond imita son dessinateur, répondit à Georges et à Barrès qu’il ne voyait là aucune offense, qu’il n’était pas responsable de cette publication et que d’ailleurs il allait dîner. Mes deux amis me rapportèrent ces propos héroïques au Café napolitain, où j’attendais le résultat de l’entrevue.

Je ne fis ni une ni deux. Je dis à Georges : « Veux-tu avoir l’amabilité de m’accompagner chez ce brave Simond, afin que je fasse valoir moi-même mes arguments ? » Georges Hugo n’a jamais dit non à un ami. Nous arrivons rue Taitbout, où était alors l’Écho de Paris. Georges donne sa carte au garçon de bureau, mais c’est moi qui suis introduit, par une habile substitution de personne. Aïe, aïe, aïe ! Simond, en me voyant, jaillit hors de son fauteuil directorial. Il crie, il appelle au secours. La rédaction accourt, Henri Bauer en tête, et me voilà me débattant au milieu d’une douzaine de personnes, leur dis-