’ai dit que Mme de Loynes avait reçu chez elle deux générations
d’hommes politiques et d’écrivains. Elle gardait un
souvenir tendrement ému à plusieurs d’entre eux, notamment
à Renan, Sainte-Beuve, Flaubert et Girardin. Quand ces noms
tombaient dans la conversation, elle commençait par pousser
un petit soupir. Ses beaux yeux limpides s’embuaient de tristesse
et elle semblait songer : « Comme ils ont passé vite ! »
Puis discrètement, finement, comme elle faisait tout, elle citait
d’eux une parole ou une circonstance qui les mettait en belle
lumière. Les uns et les autres lui confiaient leurs peines de
cœur, leurs embarras domestiques, leurs rêves ambitieux, leurs
déconvenues. Car elle possédait ce don si rare, que je n’ai
connu au même degré que chez mon père, d’inspirer non seulement
une confiance absolue, mais le désir de s’épancher. Cela
tient sans doute à un potentiel de sympathie, ou mieux de
compassion attentive, qui donne aux blessés de la vie, fréquents
aussi parmi les privilégiés de la vie, le sentiment qu’ils seront
consolés. Pour entrer dans les peines d’autrui, il ne faut être
ni pressé ni distrait. Mme de Loynes n’était ni pressée ni dis-