Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/546

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traite. Consultée sur une difficulté, elle cherchait tout de suite le moyen de la résoudre ; sur un obstacle, le moyen de le franchir. Le clavier des dévouements dont elle disposait lui permettait d’aider les uns par les autres, quelquefois à l’insu des uns et des autres, de rapprocher des adversaires dans une bonne action en commun, d’associer l’aveugle au paralytique, le riche débile au pauvre ingénieux ou résolu. Comme d’autres ont plaisir à faire le mal, elle prenait son plaisir à faire le bien et elle y appliquait une ductilité de fil d’or, une volonté d’airain.

Un de ses familiers, qui s’était fourvoyé dans une mauvaise dette, reçut d’elle, en deux minutes, de la main à la main, une somme énorme. C’est Lemaître, non elle, qui m’a conté ce trait entre dix autres analogues. Quand il fut question, en 1907, de mettre la Libre Parole à six pages et d’en faire un organe royaliste, Mme  de Loynes voulut s’inscrire immédiatement pour 20 000 francs, que je refusai. Elle se vengea en léguant à ma femme, l’année suivante, par testament, 100 000 francs, qui contribuèrent aussitôt à la fondation de l’Action française quotidienne. Nous lui disions : « Vous n’êtes pas de ces personnes qui, millionnaires, et ayant un ami dans le besoin, se mettent à dix pour examiner son cas et lui chercher un usurier capable d’avancer 500 francs. » Elle riait de bon cœur à cette idée. L’ingratitude, la noirceur, la vilenie des gens, qu’elle avait vues de près, ne l’avaient ni désenchantée ni aigrie. Sa mémoire retenait avec bonheur les actions nobles, désintéressées, courageuses. Elle démêlait admirablement les attitudes de la sincérité et le risque véritable du faux risque. Quand elle ignorait une question, elle disait : « je ne sais pas », et elle s’informait.

Elle ne dédaignait personne. Elle déclarait, presque dans les mêmes termes que Maurras, que « le dédain n’est pas politique ». Elle écoutait gravement celui-ci et celui-là, le coude sur le bras de sa bergère et le menton dans sa jolie main. Elle confrontait les renseignements et les avis. Quand on parlait devant elle d’une personne ou d’une chose qu’elle connaissait à fond, mais sur lesquelles elle ne voulait se prononcer, elle avait la force de se taire. Femme dans le meilleur sens, et jusqu’au bout des ongles, elle demeurait femme au conseil, mais