Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/553

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tuer en faisant un geste. Je connais très bien le type de bellâtre mondain et avantageux qui pouvait lui être insupportable. Vis-à-vis des femmes et des faibles, il était plus que conciliant. Il aimait l’héroïsme, la bravoure intellectuelle et, en tout, le ton relevé. C’était un personnage du XVIe siècle, retouché par un savant du XXe, par un clinicien et un historien hors pair. Son influence a été immense, et elle n’a pas fini d’agir.

D’homme plus érudit et lettré que lui, jusque dans les coins, il n’en exista pas. Il vécut parmi les bouquins la première partie de son existence, la seconde parmi les remous d’un temps agité et fertile en naufrages. Il vit des politiciens, qui l’insultaient la veille, se rouler à ses pieds et l’implorer. Il connut la haine implacable et il lui répondit par une violence qui n’excluait jamais la maîtrise du soi. Ce fut un grand, très grand monsieur, pour employer l’expression de Flaubert et il était impossible de le frôler, fût-ce cinq minutes, sans s’en rendre compte. Mais nous le retrouverons chez lui, passage Landrieu, et dans son journal la Libre Parole, au milieu de ses collaborateurs.

Le commandant Hourst, — que Mme  de Loynes appelait « mon bon ours » — est le Méridional pondéré aux yeux clairs, en retrait et sans gesticulation, que ne veut pas connaître la légende. Ingénieux comme Ulysse et déterminé comme Jean Bart, ce marin descendu à terre est un type de loyauté, de courage et d’honneur. Un petit clignement du regard gris bleuté, une légère intonation du Midi, décèlent une imagination malicieuse et joyeuse, appréciée de tous ses camarades. On connaît ses expéditions en Afrique et en Chine, la remontée des rapides du Yang-Tsé, le sauvetage de nos missionnaires.

« Redites à ces messieurs, mon bon ours, demandait tendrement Mme  de Loynes, comment vous êtes venu à bout de la résistance de ce mandarin.

— C’est bien simple, répondait le brave des braves, avec ce minime essoufflement qui ponctue chez lui le récit, j’ai fermé la porte à clé et j’ai prié l’interprète de lui faire savoir que j’étais décidé à lui couper le cou, en commençant par les pieds, s’il ne me donnait pas satisfaction immédiatement. Il a obtempéré dans la minute.

— Et comme je le comprends ! ajoutait Lemaître en riant.