Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/571

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mais il était impossible de comprendre les mots qui se pressaient dans l’isthme de son gosier et je ne saisis rien du discours par lequel il m’annonça cette imminente cérémonie.

Compatriotes de Meyer, de Schmoll et de Pollonnais, Blum, Bloch et Picard étaient fort différents les uns des autres. Blum était bien, bien vieux et déjeté avec la peau du visage comme tannée, et toussait pendant cinq minutes, avant de pouvoir proférer un son. Bloch était entre deux âges, sans fiel, toujours en garde contre une avanie possible, ou une blague de l’un ou de l’autre. André Picard, mince petit dramaturge, aux pommettes roses, aux yeux pointus, tordait sa petite moustache dans les encoignures. Il y avait encore Lionel Meyer, parent d’Arthur, beaucoup plus jeune, vif, pétulant, point sot et que nous avions surnommé « pomme d’Apis » à cause de sa rondeur faciale, vaguement égyptienne quant au profil. Un certain Lévy, qui signait Vély, détenait la chronique humoristique, d’ailleurs bête à pleurer ; et les comptes rendus scientifiques appartenaient à Georges Wulff. Aucun de ces neuf confrères n’était désagréable en particulier, et leur ensemble devenait, dès qu’ils s’aggloméraient, peu sympathique et même hostile. Expliquez cela.

Mazereau, l’obligeance même, mort prématurément, Foucher, peu bavard, mais exceptionnellement renseigné sur les milieux parlementaires, de Maizières, informateur hors ligne et doué d’un remarquable coup d’œil, composaient le fond solide du Gaulois. La façade était occupée par des académiciens à trois et quatre cents francs l’article, ennuyeux ou diffus — à l’exception de Bourget, de Coppée et de Vandal — et d’une rare suffisance. Mais c’étaient ces hommes de métier, les Foucher, les Mitchell, les de Maizières qui rendaient le journal lisible, agréable à l’œil et à l’esprit. Il n’est pas de plus belle, de plus intéressante profession que celle de journaliste ; il n’en est pas qui exige plus de don, de tact, et de vivacité. La conscience professionnelle est en général très éveillée dans ce milieu honnête, assidu, laborieux, où règnent l’esprit de corps et la camaraderie. Ce qui gâte le journalisme, c’est le propriétaire — directeur — principal actionnaire et homme d’affaires, c’est l’administration mal comprise et la publicité sans scrupules ni frein. Ce qui le rachète c’est le secrétaire de rédaction, c’est