Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/572

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le courriériste, c’est le chroniqueur, c’est le petit monde du tran-tran quotidien et du labeur demi-obscur. Le côté déplaisant du Gaulois tenait à la morgue affichée des salonnards et des coupolards vis-à-vis de la modeste équipe des collaborateurs habituels, à leur dédain pour ces « frères inférieurs ». La race navrante des conservateurs blesse et froisse, sans même s’en apercevoir, ceux qui s’occupent de la défendre par la plume. Aussi, profitant de mon indépendance et de mes franches coudées, n’ai-je jamais hésité à rembarrer, et férocement, le sot monsieur, ganté de beurre frais et chaussé de vernis, qui venait, du haut de sa redingote à revers, me proposer ses conseils et ses avis. En ai-je remis à leur place de ces niais, du temps que j’écrivais au Gaulois, avec la joie de venger ainsi une foule de mes confrères moins favorisés !

La plus importante rubrique du Gaulois est celle consacrée aux « mondanités » : cadeaux de mariages, soirées, nécrologies, thés, baptêmes, garden-partys, alliances princières et ducales, le tout pêle-mêle et entrelardé d’épithètes béatement laudatives et de descriptions hyperboliques. C’est à l’aide des « mondanités » que « M. Schmoll » appâte la publicité et que Meyer attire et retient la clientèle de snobs et de gâteux, de salon et d’antichambre, qui constitue les deux tiers de son public. La lecture en est, pour l’observateur attentif, une rigolade presque indéfinie, par la recherche et les subtilités d’un « tact » effrayant, équivalant aux pires maladresses et cause de gaffes monumentales. Un titulaire de ladite rubrique, atteint de délire de grandeurs après quelques années d’exercice, se croyait prince de Perlimpinpin et passait ses journées à énumérer, en style Gaulois, ses invités « hautement nés » des deux sexes. Ajouterai-je que, trop souvent, les personnalités admises à l’honneur de ces colonnes en petit texte et de ces fastueuses énumérations sont pourvues de blasons en toc et de titres plus que douteux ? Nous connaissons, depuis Dangeau, les ruses de la noblesse chimérique, qui en imposent aux simples roturiers.

Pendant ma collaboration au Gaulois — dont la comédie perpétuelle m’enchantait — le « mondanitaire » en chef était le comte Fleury, fils d’un favori de la cour impériale, homme long, maigre, amer, pareil à un casse-noix ébréché et privé de tout agrément. Meyer exigeait de lui, comme de ses prédéces-