Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/577

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ration de Got, de Maubant, de Delaunay, assez pauvre, somme toute, en comédiens de premier plan, si l’on met à part Mounet-Sully.

Mais le personnage le plus singulier du Gaulois, après Meyer, et dans un tout autre genre, était certainement Louis Teste. Je doute que l’histoire du journalisme parisien renferme un autre type aussi falotement comique.

Représentez-vous un grand vieux, maigre, presque dégingandé, mal rasé, fortement moustachu, toujours vêtu de noir, coiffé d’un tromblon noir disproportionné, doué de regards perçants, d’une solide mâchoire capricieusement musclée et sans cesse en mouvement — soit qu’il mâchât des boules de gomme, soit qu’il s’indignât, — d’une voix enrouée, brusque et bougonne. Vous avez Louis Teste, réviseur du Gaulois. La légende voulait qu’il possédât quatre-vingt mille livres de rente et demeurait au journal de cinq heures de l’après-midi à deux heures du matin, sans rétribution, pour son plaisir. La vérité est qu’il tenait à ses appointements et complétait ainsi un budget rendu minime par son extrême avarice. C’était un bonhomme des plus érudits, connaissant à fond la biographie publique et clandestine de tous les membres de l’Assemblée Nationale, nourri de Tocqueville et de sa descendance, calé sur Saint-Simon et Mme de Sévigné, ayant vécu dans l’intimité de plusieurs Decazes et de quelques Broglie, familier et, disait-il, conseiller d’un nombre considérable d’amis ou de parents de Thiers, de Guizot, de Jules Favre, collectionneur de turpitudes, enragé contre tous les partis, principalement contre le sien, qui était celui des conservateurs et libéraux, foncièrement anarchique et asocial. Il fallait l’entendre tempêter dans la petite pièce, donnant sur la rue Drouot, que j’avais baptisée le « Testicoir », inculquer des leçons de politique à Meyer, plein de déférence, aux garçons de bureau, au caniche chocolat, à de Maizières somnolent ou à Mazereau affairé : « J’avais prévenu Decazes… Votre projet n’est que de la bouillie pour les chats. Avec son entêtement naturel, il passa outre, et vous savez ce qui est arrivé… » Ni Maizières, ni Mazereau, ni Mitchell, ni Foucher, ni le sage et mélancolique de Meurville, ne savaient ce qui était arrivé, mais ils ne sourcillaient pas, d’ailleurs accablés de sommeil — car ces vitupérations allaient de