Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/613

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atrocité insignifiante, puis contractant les rides parallèles de son front autour d’un orifice de caoutchouc. Il ne manque certes pas de talent dans son art. Il fut, à un moment donné, presque un beau peintre, travaillé par l’influence de Sargent et de l’école anglaise, des gentlemen aux riches guêtres en cuir fauve, moins le ciel en coup de vent et le charme languide des dames au long col, caressant une tête de lévrier. C’est un influençable qui joue les originaux, un potinier macabre qui pose au moraliste. Il appartient à la race des commères tragiques, brouillant les gens sous prétexte de les réconcilier, compliquant les histoires les plus simples, colportant les racontars et les fables déshonorantes, jouant les gales au grand cœur et les Merteuil sentimentales. Ce genre m’est pénible. J’ai toujours fui Jacques-Émile comme la peste bubonique, surtout dans ses crises d’attendrissement qui le prennent, me dit-on, quatre jours par mois. Souvent chez « Fœmina », Forain, armant ses pistolets oculaires, contemplait Blanche sans dire un mot, puis éclatait d’un rire strident et ne s’expliquait pas davantage. Impossible de le confesser. Je me disais : « A-t-il de la chance de prendre tant de plaisir à Jacques-Émile ! » Je lui disais : « Qu’est-ce qui vous réjouit donc, Forain, dans cette grande fifille zézayante et confidentielle ? » Mais il continuait à rire bruyamment et ne répondait pas.

Ce qui m’intriguait davantage, c’est que Maxime Dethomas, lui aussi, se divertissait de l’aspect de Jacques-Émile. Maxime Dethomas, c’est le Parisien né et c’est un grand et consciencieux artiste, à la vision implacable, au trait sobrement vigoureux. Comme Forain, il se tient à l’endroit précis où finit la silhouette et commence l’état d’âme, expliquant et commentant celle-là par celui-ci, ou réciproquement. Les boursouflements et dégonflements de la vanité humaine le ravissent. Il collectionne et il enchâsse les trouvailles verbales des imbéciles, en même temps que leurs mines et leurs attitudes. Monsieur l’important, madame soif-d’égards, mademoiselle je-suis-un-type, ont en lui un observateur sans miséricorde. Il est grand, il est gros, il est placide, il ne s’emballe jamais. Les compliments « lui mettent les pieds en dedans », — comme il dit, — et la fausse cordialité le fait grincer. Il possède en tout un goût extraordinaire, depuis le mobilier jusqu’aux jugements portés