Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/618

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rait, encourageait. Il ne venait d’elle que des paroles généreuses ou vivifiantes. On eût dit un docteur moral au milieu de sa clientèle, où tout le monde souvent parlait à la fois. Je n’ai jamais connu un tact plus parfait pour savoir qui il fallait attirer et choyer, qui il fallait tenir à distance, qui il valait mieux ne pas inviter. Il y avait une première zone et une seconde, dont faisait partie notre Bébel Hermant, à cause de ses déformations romanesques et de son goût des atrocités. Mais maintenant que le voilà prévenu, ce Crébillonnet national va sûrement, par esprit de « vingince », me faire étouffer le parrain Gaulot à l’aide d’un baba empoisonné, dans le vestibule de cette chère maison, cependant que Maxime Dethomas, tendant son couteau à palette, me criera : « Vas-y, Léon, avec ce surin, ce sera beaucoup plus commode ! » Puis de ce drame « éminemment parisien » le petit baigneur en caoutchouc rose de la piscine de l’Automobile-Club tirera une pièce en quatre actes, que le bon Porel aura la faiblesse d’accepter, et qui aura trois représentations bien tassées.

Beau-frère de Maxime Dethomas, le peintre Zuloaga est le type de l’Espagnol silencieux, robuste, spirituel, concentré dans sa force et dans son talent. Tout le monde connaît ses danseuses, ses toréadors, ses toiles fiévreuses, voluptueuses ou crispées, par lesquelles il arrive parfois à égaler Goya, sans ressembler à Goya, son coloris nouveau, aux tons crus, sa puissance d’observation et de rêve. Je crois avoir été un des premiers à signaler cette reviviscence de l’art espagnol et catalan, cette floraison de peintres, de dessinateurs, de sculpteurs, parmi lesquels on remarque surtout, et au premier rang, Rusiñol, Zuloaga, Cazas, Anglada, Utrillo, Sert, sans compter un musicien comme Albenice et une demi-douzaine d’auteurs dramatiques tels que Rusiñol déjà nommé, Unamuno, etc. Quelques années avant la guerre, mon cher Santiago Rusiñol avait installé, avec le sculpteur catalan français Violet, une merveilleuse petite exposition de toiles et de groupes, qui fit courir tous les connaisseurs. Violet y avait un troupeau d’une douzaine de moutons — en langage local, un « escamote » — serrés les uns contre les autres, au-dessus desquels on sentait la pluie et le froid, et un buste magistral de Mgr de Carsalade, évêque de Perpignan, plus une vingtaine d’œuvres adorables.