Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/617

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de l’humain, après les couches et strates de l’individu. Noyez votre moi dans l’océan ou perdez-le dans les étoiles, ô vous qui répandez les stances sonores, les yeux fixés sur le laurier toujours vert. Alors seulement vous le décrocherez et pourrez le tresser en couronnes, à la façon du vieux Malherbe, loin de l’envie et du persiflage.

Notre temps aura connu un précieux ridicule, bien trop abondant et digressif, insupportable mais singulier, tel que Robert de Montesquiou. Il aura connu un joli et tendre évocateur — un peu languissant — des soirs de province et des âmes virginales, Francis Jammes. Il aura connu ce versificateur ingénieux et bavard, arracheur de rimes et de dents, insupportable neurasthénique juché sur le char automobile de Barnum, le bonhomme Cambo, Edmond Rostand. Il aura connu la lyrique, douée jusqu’au gaspillage, chargée à l’excès de tous les prestiges, de toutes les séductions du vocable, dont je viens de parler. Il aura connu Mallarmé, sa magie absconse dans le clair, et ses joyaux innominés, sertis au centre d’une pensée indécise. Il aura connu le grand et hagard Verlaine, le suave et docte Sully Prudhomme, l’érotomane Mendès, Heredia sonne-creux, et combien d’autres ! Mais si la poésie, abstraction faite de la règle prosodique, consiste à être relié au monde par un réseau plus vrai et plus intime que celui des autres humains, à faire vibrer à l’unisson des cordes éloignées et mystérieusement apparentées, à extraire l’essentiel de la circonstance et l’éternel du transitoire, alors le seul poète, grand, invincible poète de notre temps, c’est Paul Claudel. Messieurs, mesdames, pardonnez-moi, pardonnez-lui et saluez-le !

Que l’on se représente ces Parisiennes, dont quelques-unes étaient des merveilles de beauté, de grâce et d’esprit, ces Parisiens tous en vedette et quelques-uns remarquables, devisant autour des gâteaux et du chocolat, dans le salon, l’antichambre, jusque sur les premières marches du grand escalier. L’art de la maîtresse de maison idéale, c’est d’être partout à la fois et de favoriser tout le monde, en ne mécontentant personne. Ainsi faisait « Fœmina ». C’était à qui lui demanderait un moment d’audience particulière, pour solliciter un conseil, raconter telle démarche, se plaindre ou se féliciter. Elle souriait, rassu-