Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/630

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études, à la filière de l’agrégation, alors qu’il avait tout ce qu’il faut pour faire un professeur incomparable. Les étudiants se seraient rués à ses cours. Il mourut avant cinquante ans, emportant avec lui les germes non semés d’un enseignement qui eût été glorieux, qui eût fait progresser la clinique et la thérapeutique françaises et leur eût prêté son éclat. Cependant qu’un ignorant infatué, comme Debove, ou un métaphysicien des nuées comme Bouchard, ont occupé le tapis pendant un quart de siècle et peuplé la Faculté de leurs médiocres élèves, les traités de pathologie de leurs insanes hypothèses, tranchons le mot, de leurs âneries. C’est pitoyable.

Les derniers jours de ce noble cœur et de ce lumineux esprit furent d’une héroïque simplicité. Un matin, plus fatigué et fébrile que de coutume, sentant une douleur au côté, il reconnut qu’il avait un pneumothorax et, dès lors, n’eut plus aucun doute sur l’issue fatale. Toutes ses affaires étaient en ordre ; il avait mené ses principaux et ses plus chers malades au point d’amélioration où il souhaitait les voir se maintenir ; il avait dépensé sans compter, pour le salut d’autrui, des forces depuis deux ans déclinantes ; il avait connu, auprès d’une compagne admirable, les grandes joies du cœur, de l’esprit, de l’amitié. Il lui prit la main, qu’il garda jusqu’au bout, et franchit le noir passage sans une plainte, avec l’œil clair, l’intelligence lucide et la fermeté d’un beau combattant. L’église, le jour de ses funérailles, était pleine de gémissements et de sanglots. Les plus durs étaient bouleversés. Des personnes qui ne se connaissaient pas, mais qui se reconnaissaient dans leur deuil commun, se serraient les mains avec douleur. Derrière le corbillard, les amis de Vivier se rappelaient tant de propos enchantés, cette verve frémissante, cette chaleur d’âme et de langage, ce don perpétuel de soi, cette énergie souriante, ce rire étincelant. Quand, au milieu des tombes, par la chaude et humide journée d’été, Lemaître prit la parole, de sa voix dorée, pénétrante, les pleurs et les plaintes redoublèrent. Un oiseau se mit à chanter une sorte d’adagio passionné. Comme il eût trouvé cette heure émouvante et belle, le cher sorcier disparu, hélas ! en laissant ici-bas tous ces orphelins !

J’ai cultivé passionnément l’amitié, elle ne m’a jamais déçu et, quand je songe à mes amis, vivants ou morts, je les revois