Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/92

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rangs de spectateurs. Il y avait du monde jusque sur les toits. On se montrait les gens connus : Naquet, pareil à une araignée de water-closet, carabosse et chevelu, qui marchait de biais, suspendu au bras de son fidèle Lockroy ; Pelletan sans linge, ocreux et crasseux dans une redingote noire élimée ; Claretie portant le nez en berne, combien d’autres… La tourbe des parlementaires se distinguait par cet insigne qu’ils appellent plaisamment leur « baromètre » et par leurs écharpes. Les académiciens, quelques-uns en habit vert, excitaient une curiosité amusée, car on s’imagine volontiers dans le peuple qu’ils sont plus savants que les autres. Mais on les confondait aussi avec les professeurs de Faculté, brillants dans leurs robes jaunes, bleues, rouges, ainsi que des cacatoès. Je crois bien qu’Alphonse Daudet, qui suivait à son rang, eut ce jour-là une première vision de l’Immortel. Zola avait tenu à accompagner à sa dernière demeure le chef du romantisme, puisqu’il était, lui, le chef du naturalisme, et il quêtait parmi les groupes des compliments sur sa lettre à Georges Hugo : « V’ai cru que ve devais faire cela… Hein, mon ami, hein, n’est-ce pas que j’ai eu raison ? »

Au Panthéon, les discours recommencèrent, encore plus insignifiants qu’à l’Arc de Triomphe, quelques-uns tout à fait stupides. Puis au son du très médiocre Hymne à Victor Hugo de Saint-Saëns, qui a eu, heureusement pour lui, des inspirations meilleures, on déposa enfin, après tant de pérégrinations, la dépouille du poète en son dernier séjour : une crypte froide, où la gloire est représentée par un écho que fait admirer le gardien. C’est ici la chambre de débarras de l’immortalité républicaine et révolutionnaire. On y gèle, même en été, et la torche symbolique au bout d’une main, qui sort de la tombe de Rousseau, a l’air d’une macabre plaisanterie, comme si l’auteur des Confessions ne parvenait pas à donner du feu à l’auteur des Misérables.

La cérémonie était achevée. Il faisait grand’soif. Nous allâmes boire au café de la Rotonde, place de l’Observatoire, mon père, Zola, Goncourt, Céard et quelques autres. C’est là que l’historien des Rougon-Macquart, après un moment de silence, tint ce propos édifiant : « Me voilà soulagé d’un grand poids. Ce vieux me gênait depuis son anniversaire, là-bas, dans sa petite maison