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CHAPITRE IV


Le dimanche matin et le jeudi soir chez Alphonse Daudet. — Le duel Delpil. — Champrosay. — L’apparition de la France juive.



Le dimanche matin, Alphonse Daudet recevait ses confrères et les débutants qui venaient solliciter son encouragement et son appui. Il avait auprès de lui son fidèle ami et secrétaire Jules Ebner, avec lequel il s’était lié aux avant-postes, pendant le siège de Paris, et dont l’inaltérable dévouement fait partie de nos archives de famille. Ebner était une nature tranquille, lucide et droite, malaisée à entortiller dès qu’il s’agissait des intérêts de son patron. Avec cela, d’une extrême modestie et d’une égale bonté. Il ne se trompait guère dans ses sympathies et antipathies.

S’il me fallait citer tous les habitués du dimanche, un volume n’y suffirait pas. Je mentionnerai les principaux :

Abel Hermant était un des plus assidus. Il venait de publier son premier livre sur l’École normale, qui faisait un certain bruit. Il avait reçu, une fois pour toutes, de la nature, un physique qui n’a pas bougé depuis trente ans. Imaginez un petit automate lissé, verni, poli, aux traits ronds, aux yeux luisants, un petit sourire à demeure entre les longues moustaches blondes. Sa voix, précieuse et nasillarde, accentuait d’une façon comique la dernière syllabe des mots en an ou en. Il prononçait « étonnint », un « serpint », un « éléphint » et racontait, sans se presser, en « traînint » sur les finales, de longues histoires de professeurs, d’éditeurs, de directeurs de journaux, où il n’était question que de lui. J’ai vu, au cours de ma carrière, beaucoup de gens expliquer leurs caractères et leurs façons d’être, jamais avec « autint de complaisince » que ce diable de petit Hermant.