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la maternelle

Ces élèves ont un attachement vrai pour leur institutrice, mais ils ne sont pas précisément amis avec elle ; ils sont disposés, mais une mésentente subsiste.

D’une façon générale, les maîtresses abordent les enfants avec trop de pédagogie ; par préjugé de métier, elles les croient trop « enclins à mal agir ». En les abordant « comme tout le monde », au naturel, on doit mieux réussir.

Quelle précieuse découverte ! Je veux « être amie », moi ! Je veux leur cœur, leur caractère original ; je veux qu’ils daignent m’admettre dans leur intimité, qu’ils me fassent la charité de leur franche brutalité. Donc, je me rends le plus possible camarade et pareille à eux.

Et voici ma chance : ils portent l’odeur de leur famille, ils sentent le fer, l’huile, le charbon des machines et des outils, le vernis d’ébéniste, les pommes de terre frites, la sueur, le vin, le musc ; ils répètent aussi les manières de leur entourage : les uns font la chaloupe en marchant, les autres accusent l’allure lente d’ouvriers fatigués, l’air de traîner une voiture à bras derrière eux, l’air de tirer, du dos, l’immémoriale misère. Eh bien ! ils m’imprègnent de leur odeur, puisque je les manipule, puisque je nettoie leurs traces, puisque je m’agenouille… Oh ! cette fadeur que mes vêtements éparpillent dans ma chambre ! Je me rappelle que j’aimais la verveine autrefois… Non, je ne me rappelle rien… Eh bien, aussi, je prends leur allure, une dégaine peuple, ouvrière, carrée,