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la maternelle

Lorsque je monte au premier, dans la classe de Mme Galant, pour arranger le feu, le poêle étant à droite du bureau, face aux élèves, une cinquantaine de paires d’yeux s’enquièrent vite de ce que je fais ; seule, Berthe Hochard, assise à la première table, ne permet pas un vacillement à son regard de pierre. On chante ; les cinquante bouches s’ouvrent à qui la plus ronde sur les e, les i, les a, une partie des gamins rendent distraitement les sons par impulsion mécanique, les autres poussent les voyelles exagérément par sentiment des mots ou par espièglerie ; au milieu de ce jeu cadencé des gosiers, les lèvres mortes de Berthe Hochard exhalent sans fin le silence intérieur. Si la maîtresse improvise une leçon en s’aidant des pancartes murales qui représentent des plantes, des fruits, l’attention sort en couleur, en relief, des fronts, des yeux, des nez, des joues, la compréhension miroite et chatoie au fin bout des museaux, palpite aux cils et se pose aux mentons ; quelquefois, Mme Galant provoque volontairement un rire général qui fuse tout droit d’abord, puis trinque et se mêle de voisin à voisin ; alors, il faut bien frissonner : Berthe Hochard garde sa rigidité inexorable, hallucinante : elle est arrivée ! toutes les émotions, toutes les larmes, tout le sang, tous les cris, toutes les convulsions ont été arrachées d’elle — et elle attend patiemment que les autres voyageurs veuillent bien la rejoindre !

Je m’améliore beaucoup depuis que je connais des enfants de la grande classe.