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Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/185

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passe au milieu de la convoitise et de la concurrence… je ferais quelques pas, je sentirais toutes sortes de menaces autour de moi. Devant la façade assombrie de l’école, je verrais des personnes en train de chercher, de parler, de monter la garde. Juste là, sous le drapeau, et le long des affiches, je retrouverais le même trottoir occupé qu’à onze heures et à quatre heures lorsque l’on attend la sortie des élèves… à peu près mêmes visages, mêmes vêtements. Faut-il l’écrire ? de celles qui viennent chercher leur enfant dans la journée, il y en a, je crois, qui reviennent la nuit devant l’école.

Sans doute, c’est seulement la curiosité de vérifier qui m’attire dehors… Belle curiosité ! c’est plutôt mon intolérable solitude qui me pervertit.

J’ai souvent rêvé cette inouïe fortune : un enfant que l’on ne viendrait pas retirer le soir et dont je ne retrouverais pas les parents à l’adresse marquée sur la fiche, je l’emmènerais chez moi, je le ferais dîner, je le coucherais, je le dorloterais. Comme cela doit être bon d’avoir un enfant à embrasser dans le silence du chez soi, quand, dehors, guette la nuit hostile !

Le fait s’est produit. Mme Paulin me l’a raconté : un bébé de quatre ans, demeurant soi-disant rue des Panoyaux ; l’heure passe, on le reconduit ; à cet endroit, la mère était inconnue. Perplexité. Le petit, paraît-il, a eu comme une intuition terrible : il s’est mis à réclamer sa mère avec cet affolement de l’instinct vers une seule protection, avec cette épouvante de l’être perdu qui sent la voracité