Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/309

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forts de torturer… j’ai déjà tant souffert… un peu plus, un peu moins… »

Et puis, comme ma gifle restait isolée, il eut une espèce de sourire : « Je ne t’en veux pas, va ! dans le fond, tu n’es pas méchante… tu ne savais pas, hein ? »

Après ce jour-là. Fondant continua de se réfugier en moi, mais sa main, à mon jupon, ne s’attachait plus avec autant de ténacité. Des remords creusaient ma conscience véreuse : ma brutalité n’avait-elle pas retiré à cet enfant la dernière croyance en la Bonté ? N’avais-je pas lâchement abattu sa mourante volonté de vivre ? Il ne se jetait plus dans moi à corps perdu, il me sondait avant : « Veux-tu ? » et ses yeux jaunâtres exprimaient un souvenir qui me lancinait. Je lui trouvais une langueur pensive « de malade qui aurait pu être guéri ». Autrefois, je m’adressais à lui par des mots espacés : « Te voilà ?… viens !… » le silence entre nous était naturel et plein de signification. Après ma brutalité, j’aurais voulu lui parler davantage et je ne pouvais pas… rien ne sortait… J’essayai de lui caresser la joue, mais il eut peur de ma main et sa chair en coton fit rétracter mes doigts.

Enfin, un matin, la Souris tirait mon tablier dans le préau :

— Rose, Rose…

À force d’être assourdie, on prend l’habitude, avec les enfants, de ne presque jamais répondre au premier appel.

— Rose…