Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/314

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parts soient apportées avant de commencer la danse des cuillères, autrement on ne s’y reconnaîtrait plus : l’avalage des premiers servis irait plus vite que la distribution. Il faut voir ces petits Tantales !… Par pitié on sert les Ducret les derniers : une fois, l’aîné s’était évanoui d’aspirer la vapeur de sa soupe ; le cadet, les mains au dos, essayait de laper ; son menton grelottant sur le fer de l’écuelle « jouait la Marseillaise ».(Appréciation des camarades.)

Mangez !… Ah ! ce mouvement des mâchoires qui fait remuer les tempes livides aux veines décolorées !

Et ceux qui ont tellement faim qu’ils ne peuvent plus manger ! Ceux qui sont habitués à de telles saletés qu’ils ne peuvent digérer une nourriture saine ! Et Pluck « que sa toux nourrit » !

Des tout petits lèvent les dents lentement, comme s’ils n’avaient plus de salive, comme des vieux dont les mandibules usées pèsent « du plomb ».

La Souris gave son « poussin » avant de se permettre une bouchée. Puis elle surveille les deux petites Leblanc et s’arrête inquiète, si elles font mine de chipoter.

Mais, tout à coup, son regard noir se pose sur moi et me suit ; sûrement quelque chose cloche dans le repas. Je cherche : reste-t-il un enfant qui n’a pas de pain ? Non, pourtant… Voyons, c’est au bout de la tablée, en face, que ça ne va pas… Parbleu ! Tricot a la lèvre fendue par un horion paternel et tellement enflée qu’il ne peut introduire la cuillère ordinaire, je lui prête une cuillère à café.