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Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/348

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camarade. Et j’ajoutai à demi-voix : N’est-ce pas, que vous voulez que je reste ?

— Tiens ! c’est la Rose…

Elles s’approchèrent :

— Croyez-vous qu’en v’là un malheur !

— Quoi ? quel malheur ? demandai-je.

— Comment vous ne savez pas ? La mère Cloutet vient de se fiche dans le canal avec ses deux gosses ; on l’a retirée encore vivante et c’est une grande chance, car elle est enceinte, mais les deux pauv’ gosses sont noyés.

— Hein ?… la Souris, le poussin ?… ma pauvre petite mère Souris ?

Mais j’étais trop avachie de fatigue, j’avais usé tout mon désespoir, toute ma raison sensible, l’affreuse nouvelle ne put qu’achever mon hébétement. Je restai un moment à essayer d’atteindre la catastrophe avec ma pitié, à essayer d’accorder mes nerfs à cette affliction, les larmes ne jaillirent pas, il ne sortit de moi qu’une loquacité délirante ; parler me soulageait comme une émission de sanglots.

— Ah ! la mère est sauvée et justement qu’elle était enceinte ! c’en est une chance, là ! on peut dire !… Figurez-vous que j’arrive de loin et je les avais rencontrés tous les trois… elle portait le petit qui pleurait, il pleurait à fond, vous savez ces pleurs sans consolation où coule la détresse accumulée de toute une race… et la Souris, si vous aviez vu ses mignonnes jambes qui tricotaient ! Vous connaissez sa voix sage et bonne ? Voilà qu’en passant près de moi, elle raisonnait : « Il est bien petit, ton poussin,