Aller au contenu

Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
la maternelle

De nouveaux bambins entraient toujours, en file interminable.

Le chant augmenta et précisa ma particulière émotion de débutante et de dépaysée. C’était d’abord l’émotion de l’innombrable, une impression d’envahissement non seulement de l’espace, mais de moi-même. Je reconnaissais aussi l’école pour un lieu unique, retranché, où les gens, métamorphosés, prenaient une respiration de commande. Puis, je souriais malgré moi et j’avais comme une douce envie de pleurer.

Je sus que mon sentiment majeur était la pitié : le chant commun, traînard, grêle, révélait tout à coup les qualités des corps d’où il vibrait. Quelle singularité ! Tous ces enfants étaient de l’espèce chétive, de l’humanité miséreuse.

L’entrée ayant cessé, j’enfilai les bancs du regard ; l’aspect peuple était saisissant : un ensemble de figures pâlottes, propres, mais « pas fraîches » ; on sentait la chair creuse, la substance inférieure, les cheveux même paraissaient communs et fanés.

Ce n’était pas seulement l’enfance et sa fragilité, ce n’était pas seulement le mystère des existences commençantes qui m’inquiétait, c’était la notion pénétrante de pauvreté. Tous ces enfants formaient une seule race usée, dénuée, et l’habillement uniforme, — tabliers disgracieux, chaussettes mal tirées, souliers mal lacés, — reproduisait l’aspect miteux et déteint du quartier.

Obligés de lever la frimousse pour chanter, ils