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la maternelle

raies du parquet, je cherchais le souvenir des enfants sur les bancs reluisants.

Étais-je assez abandonnée ? Était-ce moi cette personne quelconque, empruntée, dépaysée, en tablier bleu, en costume vulgaire, en coiffure vieillissante ? Cette personne au visage réservé jusqu’à être inintelligent ?

J’aurais dû me réjouir, pourtant : d’après leur façon de commander, ces dames m’avaient jugée du premier coup : une fille pleine de bonne volonté, capable de comprendre le service, mais gniangnian, comme on est à la campagne. Cette appréciation me vaudrait un affable mépris, autrement dit : la paix, la sécurité, le bonheur…

Mon énergie s’affaissait, comme si le bruit de l’école l’avait seul soutenue jusque-là : « Voyons, femme de service, moi ?… rien d’autre ?… il faut terriblement tenir à la vie… »

Et, tout à coup, je pensai : « Il ne faut pas oublier que j’ai un ennemi dangereux : le délégué cantonal. Après son départ, il m’a bien semblé que la directrice m’apostrophait d’un ton plus sec. »

Fait curieux : l’idée de lutter me remonta le moral. Comme j’ai des choses amères en moi ! Comme cela me soulagerait de pouvoir haïr quelqu’un !

« J’espère bien, monsieur le délégué, que vous serez vaillant à venger votre mécompte. J’ai soufflé la place de votre protégée !… Comme je vous évoque bien ! Vous êtes l’Autorité et vous êtes un monsieur !… Jamais vous ne réunirez tout l’odieux que