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la maternelle

spécial et nous nous entretenons de sujets spéciaux.

Un amour de deux ans, — à cet âge, ô mes amies, où les chérubins de votre monde inventent une poésie pour jaser des douceurs dont on les entoure, — un amour de deux ans balbutie toujours ses premières paroles, à l’école, pour se plaindre d’avoir été malmené. Il faut le voir froncer les lèvres : « Yose ! Yose ! » des lèvres qui ont l’air de vouloir téter encore :

— Yose ! sale gosse là-bas, m’a f… une bâfre su’ la deule

Et les mignonnes de six ans, l’une des choses dont elles ont le plus à disserter, savez-vous ?… Elles ne disent pas : « Maman va m’acheter un petit frère ». Non, mes amies, on ne s’exprime pas ainsi dans le quartier des Buttes-Chaumont.

On a six ans, des jupons de poupée, des mollets minces à faire pleurer, un tablier à manches courtes laissant voir la chair trop frêle des poignets, une figure de soubrette ratée, sérieuse et chiffonnée, avec un nez drôle retroussé ; on jabote en se promenant dans la cour de l’école.

Une camarade demande :

— Pourquoi que ta mère ne vient plus te chercher, à la sortie ?

On ne dit même pas : « Maman est enceinte ».

On se penche, on pointe le menton, et l’on jette d’un ton péremptoire et résigné, applicable aux faits périodiques, inévitables et ennuyeux :

— Maman !… Elle a sa bulle.