Page:Léon XIII - Encyclique Rerum Novarum, Sur la condition des ouvriers - 1920.djvu/13

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de raison. Ceux-ci ne se gouvernent pas eux-mêmes ; ils sont dirigés et gouvernés par la nature, moyennant un double instinct, qui, d’une part, tient leur activité constamment en éveil et en développe les forces ; de l’autre provoque, tout à la fois et circonscrit chacun de leurs mouvements. Un premier instinct les porte à la conservation et à la défense de leur vie propre, un second à la propagation de l’espèce ; et ce double résultat, ils l’obtiennent aisément par l’usage des choses présentes et mises à leur portée. Ils seraient d’ailleurs incapables de tendre au delà, puisqu'ils ne sont mus que par les sens et par chaque objet particulier que les sens perçoivent. — Bien autre est la nature humaine. En l'homme d’abord, réside dans la perfection, toute la vertu de la nature sensitive, et dès lors il lui revient, non moins qu’à celle-ci, de jouir des objets physiques et corporels. Mais la vie sensitive, même possédée dans toute la plénitude, non seulement n’embrasse pas toute la nature humaine, mais lui est bien inférieure et faite pour lui obéir et lui être assujettie. Ce qui excelle en nous, qui nous fait hommes et nous distingue essentiellement de la bête, c’est la raison ou l’intelligence, et en vertu de cette prérogative il faut reconnaître à l’homme non seulement la faculté générale d’user des choses extérieures, mais en plus le droit stable et perpétuel de les posséder, tant celles qui se consument par l’usage que celles qui demeurent après nous avoir servi.

Une considération plus profonde de la nature humaine va faire ressortir mieux encore cette vérité. — L'homme embrasse par son intelligence une infinité d'objets, et aux choses présentes il ajoute et rattache les choses futures ; il est d’ailleurs le maître de ses actions ; aussi, sous la direction de la loi éternelle et sous le gouvernement universel de la Providence divine, est-il en quelque sorte à lui-même et sa loi et sa providence. C’est pourquoi il a le droit de choisir les choses qu’il estime les plus aptes non seulement à pourvoir au présent, mais encore au futur. D'où il suit qu'il doit avoir sous sa domination non seulement