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Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/26

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rive », que ce soit le néant définitif, ce Nirvāṇa que l’Occident commence à connaître de nom et à apprécier, ou la contemplation ineffable du Dieu souverain, ou l’impersonnalité transcendante de l’Être absolu, qui ne se définit en langue humaine que par la négation.

Hantée par ces problèmes, balancée entre ces solutions, l’âme hindoue n’a pas épuisé en vingt-cinq siècles d’une production littéraire intense ses puissances d’émotion et ses ressources d’expression, tout comme le sol hindou garde, après le passage de tant de générations qui en ont vécu, sa fertilité native. L’œuvre de Rabindranath Tagore, révélée ou consacrée par un prix Nobel, jaillit du même tréfonds d’imagination mystique qui a donné naissance dans l’Inde ancienne aux Upaniṣad, à la Bhagavad-Gītā, à tant de chefs-d’œuvre presque ignorés encore dans notre Occident. On connaît de nom chez nous Çakuntalā et le Chariot de terre cuite, mais combien les ont lus ? Le Mahābhārata, le Rāmāyaṇa ne sont entrés dans la notoriété que par la porte de service, par des plaisanteries faciles sur l’allure auvergnate de leurs noms ; pourtant notre Michelet avait dès 1863 écrit un chapitre admirable sur l’épopée de Vālmīki, le début en est un véritable hymne au génie hindou : « L’année 1863 me restera chère et bénie. C’est la première où j’ai pu lire le grand poème sacré de l’Inde, le divin Râmâyana… J’ai là mon immense poème, vaste comme la mer des Indes, béni, doué du soleil, livre d’harmonie divine où rien ne fait dissonance… J’ai trouvé ce que je cherchais : la Bible de la bonté. Reçois-moi donc, grand poème… Que j’y plonge… C’est la mer de lait ».