Aller au contenu

Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une affinité instinctive rapprochait Michelet de l’Inde. Érudit, historien, penseur, moraliste, Michelet est toujours un lyrique. Et l’Inde aussi reste toujours lyrique, sous l’apparente variété des genres qu’elle a cultivés. En poésie, l’instrument qu’elle s’est créée n’est propre qu’au lyrisme. L’Inde n’a jamais possédé l’unité métrique d’un vers fluide et continu, tel que l’hexamètre grec ou latin, aux articulations souples et multiples, susceptibles de suivre sans violence toutes les allures de la réflexion aussi bien que du sentiment. Le vers hindou est toujours une stance, un ensemble rythmique rigoureusement fermé, un système organisé de membres en équilibre, qui impose à l’expression comme à la pensée un point d’arrêt fixe. La continuité s’y résout — tout comme dans la métaphysique indienne — en une succession d’instantanés autonomes, la réflexion ou l’émotion, la leçon ou le récit se décomposant en un chapelet d’impressions isolées. La prose, dans tous les genres, n’est pas autrement traitée. L’Inde n’a pas connu la phrase aux propositions emboîtées, dont la période cicéronienne est le modèle classique, qui poursuit l’analyse d’un jugement dans ses replis les plus délicats, et nuance toutes les relations qui en subordonnent les parties. Au lieu de ce mécanisme subtil l’Inde a de plus en plus développé l’emploi des composés où les termes s’accumulent sous la forme du thème nu, sans aucun des exposants, cas, genre, nombre, qui précisent à la fois la fonction et le rapport ; l’imagination est libre de passer, sans guide et sans contrainte, d’une évocation verbale à une autre évocation verbale, jusqu’au point où la fantaisie de l’écrivain trouve à propos de l’arrêter par l’intervention d’un terme