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Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/262

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le petit royaume de Tchö-kiu-kia (Karghalik), les textes du Grand Véhicule sont plus nombreux que partout ailleurs. Parmi les lieux où est parvenue la Loi du Bouddha, il n’en est aucun où la doctrine du Mahāyāna soit aussi florissante. On a déposé les textes les plus sacrés dans une grotte à peine accessible, sur le flanc d’une montagne escarpée ; d’autres sont gardés sous clef dans le palais du roi ; on en fait des lectures publiques. Les reliques les plus merveilleuses pullulent dans toute la région ; la Sérinde était devenue une nouvelle Terre-Sainte qui prétendait l’emporter sur l’antique berceau du bouddhisme ; des textes sacrés étaient venus à point soutenir et justifier les prétentions locales. Le Sūtra Solaire (Sūryagarbha) glorifie Khotan et sa montagne sainte du Goçrnga ; le Sūtra Lunaire (Candragarbha) ne compte dans l’Inde que 813 « lieux du Bouddha », tandis qu’il en attribue 971 à la Sérinde ; Khotan en possède 180.

Cette ferveur bouddhique dans un pays si mélangé n’allait pas sans exercer une influence sur la doctrine telle que l’Inde l’avait élaborée. Porté à des Iraniens, à des Turcs, à des Tartares de tout genre, associé dans un contact journalier avec la religion manichéenne qui l’avait si largement contrefait, avec le mazdéisme restauré des Sassanides, avec le christianisme de l’église nestorienne, le bouddhisme indien avait beaucoup appris et beaucoup oublié. L’étude de la Sérinde commence à peine ; les problèmes ne font que de se poser ; mais il n’y aura pas lieu d’être surpris si on vient un jour à constater que les innovations apparentes de la Chine, de la Corée, du Japon, du Tibet dans toutes les manifestations de la foi bouddhique, — doctrines, légendes, images, symboles — doivent souvent leur origine à la Sérinde, admirable laboratoire d’acclimatation du génie hindou.