Page:Lévi - Mahayana-Sutralamkara, tome 2.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
*20
INTRODUCTION

sant. Asaṅga n’a donc point à renier le passé ; il trouve même dans les sûtras du Petit Véhicule des textes qu’il peut utiliser sans les fausser. Mais sur l’édifice déjà presque millénaire il élève un couronnement qui en transforme l’aspect. La tradition avait consacré une liste de six organes, les cinq organes du corps et le manas, « sens interne », véhicules de six sensations « vijñâna ». L’analyse d’Asaṅga découvre sous le flux incessant des phénomènes, une nouvelle sensation, la sensation du tréfonds « âlaya-vijñâna » réservoir permanent où viennent s’emmagasiner les effets acquis, en attendant l’heure de se transformer en causes. Ce n’est pas la personne, puisque le bouddhisme nie la personnalité ; ce n’est pas le moi, puisque le moi est illusoire ; c’est l’affirmation de l’être qui se trouve enveloppée dans tous nos jugements et toutes nos sensations et ramenée à la mesure de la conscience. Asaṅga ici confine à Descartes ; il ne dit pas : « Je pense, donc je suis » ; mais sous la sensation du manas que traduit : « Je pense », il isole la sensation plus profonde qui déclare : « Je suis ». Ainsi, sans être vraie au sens absolu puisqu’elle est liée au moi. la sensation de l’Alaya contient une somme de réalité supérieure ;i toutes les autres : elle recueille de chacune d’elles sa part de vérité et par lit elle participe de la permanence dans l’univers impermanent ; elle s’imprègne. pour employer la métaphore en usage dans l’école, du parfum de tous les actes, mais pour le dégager au temps venu, sans en rester autrement affectée. Elle est donc susceptible d’affronter l’union mystique. Une fois transformée par la révolution interne, la sensation du tréfonds se confond avec le « plan sans-écoulement » où toute différenciation cesse ; au moi fictif qui est aboli se substitue la conscience universelle où le moi et autrui se donnent comme égaux et identiques.

L’agent de cette révolution, l’absolu qui envahit et sublime l’âlaya-vijñâna, c’est la Bodhi, l’Illumination abstraite et concrète à la fois puisqu’elle est la vérité une et puisqu’elle se réalise d’autre part, uniforme et immuable, dans la multitude infinie des Bouddhas : par eux, on communie avec elle ; par elle, on communie avec eux. Elle est ineffable, et par suite elle échappe au raisonnement discursif ; on ne saurait dire qu’elle est être ni non-être ; révélation universelle, elle contient tout et ne se montre pas partout : elle est ininterrompue et ne se manifeste