Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/134

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pagea, au-dessous des cours et des gouvernements, dans la région encore obscure des écrivains allemands et de leur public : et cette action mérite d’autant plus de nous arrêter qu’elle s’établit à distance, sans contact. Frédéric II se souciait fort peu de connaître les auteurs allemands de son temps. À défaut d’autres preuves, son opuscule De la littérature allemande (1780) en témoignerait amplement. Frédéric II parle de cette littérature comme d’une espérance que l’Allemagne a le droit d’entretenir ; il ne se doute pas que Klopstock, Lessing, Herder, Gœthe et bien d’autres ont déjà fait de cette espérance une réalité. Son éducation, ses goûts, ses relations, sa tournure d’esprit, tout l’éloignait d’eux, ou pour mieux dire, tout lui faisait une loi de les ignorer. Dès son extrême jeunesse, il a sa société littéraire, qui est toute française. Sa grande ambition est d’y paraître sur un pied d’égalité avec des auteurs que toute l’Europe lit et admire. S’il a toujours renoué avec Voltaire, malgré la bonne envie qu’il avait parfois d’en finir avec lui, c’est qu’il s’imaginait gagner quelque chose dans le commerce de cet incomparable écrivain, et parvenir un jour à lui dérober le secret de son style. Écrire en allemand, l’idée ne lui en serait pas venue. Quand il le fait, par nécessité, son style est extraordinaire : il affuble avec le plus grand sang-froid n’importe quels mots français de désinences allemandes, et sa syntaxe est d’une fantaisie toute royale. Le plus joli mot là-dessus revient à un historien récent de la littérature allemande : « Frédéric II, dit ingénument M. Wilhelm Scherer, un de nos grands écrivains classiques, qui malheureuse-