Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/135

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ment a écrit en français. » Classique ou non, son français, à coup sûr, vaut infiniment mieux que son allemand. Par goût, par politique aussi sans aucun doute, Frédéric donnait tous ses soins à la langue que parlaient les gens cultivés de l’Europe entière. Il ne voyait aucun inconvénient à laisser l’autre aux obscurs pédants et aux cuistres de collège.

Les écrivains allemands, qui avaient conscience de leurs efforts et de leur valeur, ne restaient pas insensibles à ce dédain. Au contraire, plus le héros leur paraissait glorieux, plus leur imagination s’enflammait aux exploits de ce roi audacieux, brave, capitaine de génie et diplomate achevé, plus leur amour-propre national était flatté du prestige d’un prince allemand qui s’imposait au respect de l’Europe, — plus il était mortifiant de voir Frédéric ignorer leur existence de propos délibéré, ou les recevoir par grande faveur, quand le bruit de leur réputation arrivait jusqu’à lui, pour les interroger d’un air narquois, avec une bienveillance désespérante, comme un homme dont l’opinion est faite et qui sait à quoi s’en tenir. Et qui le roi leur préférait-il ? Une société de Français, de Suisses, d’Italiens, d’un mérite parfois douteux, et de mœurs souvent équivoques. Rien de plus caractéristique que les entretiens de Frédéric II avec les écrivains allemands qu’on lui présente de temps en temps. La plupart, enivrés d’un tel honneur, tombent dans le panneau et prêtent naïvement à l’ironie de Frédéric ; mais tous n’en sont pas dupes. Le satirique saxon Rabener, grand admirateur pourtant du roi de Prusse, eut le courage de tenir jusqu’au bout dans sa protestation silencieuse contre l’entourage