Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux questions politiques, ils s’en désintéressent toujours davantage. La condition intérieure de l’Allemagne aussi bien que ses relations avec les États voisins les laisseront de plus en plus indifférents. Ils s’habitueront à considérer le monde de l’art comme absolument distinct du monde réel, à fuir dans les régions imaginaires une réalité qui leur déplaît. Ils ne quitteront plus ces templa serena où l’on vit sans inquiétude, comme les dieux d’Épicure, mais aussi comme eux sans action sur le monde. La littérature allemande ira chercher des sujets par tout l’univers visible et invisible, et elle paraîtra longtemps vide, de l’aveu même de Herder, faute d’avoir, comme la littérature française ou anglaise, un « contenu » national.

Voyez par exemple le pieux Gellert, bien oublié aujourd’hui, mais qui fut l’idole de sa génération. Les historiens donnent des preuves innombrables et parfois touchantes[1] de la vénération qu’il inspirait au peuple, comme à la bourgeoisie et à une partie de la noblesse. Sa mort fut un deuil universel, et pour ainsi dire national. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage, et par mesure d’ordre, la municipalité de Leipzig dut en interdire l’accès, tellement l’affluence y était grande. Dans bien des maisons, à la campagne, le seul livre profane, à côté de la Bible et des ouvrages d’édification, était les œuvres de Gellert. Eh bien ! ce contemporain de Frédéric II, ce professeur si admiré, ce prédicateur si aimé, est aussi dépourvu de sentiment national que d’idées politiques. À lire ses œuvres on ne de-

  1. Voyez Biedermann, II, 2, 23-29. — Hettner, III, 417.