Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vinerait point dans quel état il vit, ni à quelle époque, à moins qu’il n’ait l’honneur de prêcher devant le roi de Saxe ou quelque autre prince. Il ne connaît que deux groupes où l’individu ait sa place : le cercle de la famille et des amis, où l’on se tient étroitement entre soi, et l’humanité, où la patrie se confond avec les autres peuples. Je ne parle pas de la société religieuse qui, comme l’humanité, franchit les bornes de l’État. Quelle différence avec les écrivains français du même temps, attirés invinciblement vers les questions sociales et politiques ! En Allemagne, on s’enthousiasmait pour la bonté, pour la vertu, la sensibilité, l’amitié. Les gens de lettres n’étaient pas dans une condition qui leur permît de songer à la chose publique. Y eussent-ils songé, la plupart d’entre eux n’auraient pas osé en parler. Gellert était l’homme du monde le plus craintif. La seule vue d’un soldat l’épouvantait.

Il ne paraît même pas s’intéresser aux grands événements qui s’accomplissent sous ses yeux, aux batailles qui se livrent à quelques lieues de sa ville : mais, s’il a un ami dans une des deux armées en présence, il ne vit plus jusqu’à ce qu’il ait reçu des nouvelles. Dans ses leçons de morale, — morale toute pratique, — il ne souille pas mot de la patrie, des devoirs du citoyen envers elle, du courage civique, etc. Les vertus favorites de Gellert sont la douceur et l’humilité, l’humilité surtout. Il reproche sans cesse aux anciens de ne l’avoir pas connue ; mais il ignore lui-même la liberté et le patriotisme qui leur ont inspiré de si grandes choses. En tout cas, c’était une doctrine peu propre à retremper les caractères et à réveiller chez les Alle-