Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/148

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de sa valeur. D’autres poètes, ses admirateurs et ses disciples, renchérissent sur lui : Voss, le traducteur d’Homère et l’auteur de Louise, Bürger, les frères Stolberg, tout le groupe de Gœttingen. Ces poètes si tendres, ces amants sentimentaux de la nature, deviennent presque farouches dès qu’il s’agit de défendre les gloires nationales. Arminius, Luther, Leibniz et Klopstock sont leurs dieux[1]. On se réunissait une fois par semaine ; on buvait à la santé de Klopstock d’abord ; — leur maître à tous, — puis de Lessing, de Gleim, de Gesner, de Uz, de Gerstenberg. Mais quelqu’un nomme Wieland, l’aimable épicurien, l’auteur d’Obéron et des Abdéritains, qui écrivait d’un style si agréable et si coulant, qui se faisait lire même des partisans déclarés du français. Aussitôt on se lève, on crie : « À mort le corrupteur des mœurs ! à mort Wieland, à mort Voltaire ! » Une fois on fit des œuvres de Wieland un auto-da-fé en règle. Un de ces poètes écrivait, parlant d’un de ses confrères : « Il saura dans ses vers enflammés châtier le vice, et rendre la vertu immortelle… Ennemi de tous ces Français dont les mœurs corrompent notre patrie… » En un mot, ce sont les premiers gallophobes déclarés, les ancêtres d’une race qui devait être nombreuse, et plus bruyante encore que nombreuse.

La gallophobie demeure ici purement littéraire. Ces poètes ne haïssent point en la France une nation rivale qu’ils accusent de la décadence politique et de la faiblesse économique de leur patrie. Ils ne rêvent point de représailles à exercer ou de

  1. Voyez Julian Schmidt, II, 530 sqq.