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IV

De tous les poètes, philosophes et critiques contemporains de Frédéric II, le seul qui soit resté vivant et dont l’influence n’ait point disparu avec la génération qui l’avait produit et aimé, le seul qui soit entré dans l’âme même de l’Allemagne, est Lessing.

De Klopstock il ne reste guère qu’un nom ; de Gleim, d’Abbt et des autres, à peine un nom. Mais Lessing est encore aujourd’hui lu, médité, assimilé par la jeunesse allemande. Il est au nombre de ces auteurs auxquels la nation entière demande sa pâture spirituelle, qui lui donnent sa physionomie morale, et qui sont appelés du beau nom de classiques. Il est injuste de réserver ce titre à Gœthe et à Schiller sans remonter plus haut. C’est faire tort à Lessing, qui partage avec les deux grands poètes cet honneur, le plus haut qu’un écrivain puisse espérer.

S’il fallait caractériser d’un mot l’action de Lessing sur l’Allemagne de son temps, je dirais volontiers qu’il a été un libérateur[1]. Sans doute, ce mot ne dit pas tout. Lessing a contribué en plus d’une manière à réveiller l’esprit allemand et à rendre à la nation la conscience de son génie : Lessing a eu le mérite singulier de donner le premier modèle de la prose allemande définitive, une prose nette, exacte,

  1. Voyez, sur Lessing, l’excellente étude de M. Cherbuliez, dans les Études de littérature et d’art, Paris, 1873, et Crouslé, Lessing et le goût français en Allemagne, Paris, 1863.