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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/156

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et oppressive. Quelle que fût la parenté du génie anglais et du génie allemand, l’imitation ne pouvait être, aux yeux de Lessing, qu’un pis-aller.

En 1767, une société d’amateurs entreprit de fonder à Hambourg un théâtre national. Lessing voulut bien les aider de son expérience : il se rendit à Hambourg et se mit à l’œuvre avec zèle. C’est là qu’il écrivit sa célèbre Dramaturgie, réquisitoire ardent, habile et parfois profond contre l’esprit classique français. Que de fois n’a-t-on pas répété la brillante comparaison que Lessing institue entre la Sémiramis de Voltaire et l’Hamlet de Shakespeare, entre Zaïre et Othello ! Même les grands classiques français, dont Voltaire n’approche pas, ont mal compris le théâtre antique et l’ont mal imité. Ce n’est pas à Corneille, c’est à Sophocle qu’il faut demander le modèle de la tragédie. Lessing va souvent trop loin, et pousse plus d’une fois la sévérité jusqu’à l’injustice. Mais quel étranger de bonne foi a jamais pu goûter sans réserve notre tragédie classique ?

Au reste, pour juger équitablement la Dramaturgie de Hambourg, il faut prendre garde que ce n’est pas seulement une œuvre de science et de critique désintéressée : c’est surtout une œuvre de polémique et de passion. Il ne suffisait pas de frapper juste, il fallait frapper fort. Afin de rétablir l’équilibre, Lessing devait opposer, à la prévention générale en faveur du goût français, une autre prévention non moins forte. En pareil cas, l’important n’est pas de rendre à l’adversaire tous les hommages qui lui seraient dus : il faut d’abord se faire entendre, et ébranler le préjugé régnant. Lessing n’avait que