Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/155

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que pour le français… S’il eût suivi cette indication, elle l’aurait mené droit à s’inspirer du théâtre anglais. » Les pièces de Gottsched en eussent-elles été meilleures ? Il n’y a pas d’apparence ; mais on voit comme Lessing, bien avant Minna von Barnhelm, avait réfléchi déjà sur le théâtre allemand et sur la voie où il faudrait le diriger. C’est là un trait singulier, qui n’a pas échappé à Mme de Staël. « La littérature allemande, dit-elle, est peut-être la seule qui ait commencé par la critique. Partout ailleurs la critique est venue après les chefs-d’œuvre, mais en Allemagne elle les a produits… Il fallait que la critique écartât d’abord l’imitation pour faire place à l’originalité[1]. »

Lessing ne se flatte pas de détruire tout d’un coup chez ses compatriotes l’habitude invétérée d’imiter ; mais, puisqu’il leur faut des modèles, qu’ils les cherchent plutôt en Angleterre qu’en France. Lessing avait le sentiment net d’une loi qui ne se dément guère dans l’histoire des littératures : l’imitation est d’autant plus servile, maladroite et nuisible, que l’affinité est moindre entre les peuples. Au contraire, entre deux littératures voisines l’une de l’autre par leurs origines et particulièrement par la langue, l’imitation peut être le point de départ d’une poussée nouvelle et vigoureuse d’originalité. C’est ainsi que la transfusion du sang, par exemple, ne réussit qu’entre animaux de la même espèce. Peut-être aussi Lessing, en célébrant les chefs-d’œuvre anglais, voulait-il simplement faire diversion à l’influence française, qu’il jugeait excessive

  1. De l’Allemagne, p. 123.