Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/161

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trouva ainsi dans une position fausse pendant la guerre de Sept ans, trop Saxon au gré des Prussiens, trop bien disposé pour les Prussiens au gré des Saxons, et vu parfois de mauvais œil par les deux partis, parce qu’il ne pouvait ni ne voulait partager leurs passions. On l’accusait de manquer de patriotisme. Il n’y contredisait pas, au sens où l’on prenait le mot. Sincère avec lui-même, et séduit par l’idéal d’une humanité pacifique, sans distinction de races ni de peuples, il suivait le courant général du siècle, et se disait citoyen de l’univers. Il se chargea pourtant de publier les Chants d’un grenadier prussien de Gleim, mais il n’en appréciait que les mérites littéraires. « Le patriote, écrivait-il à Gleim, tient encore trop de place dans votre œuvre, aux dépens du poète… La réputation de patriote est la dernière que j’ambitionnerais, si le patriotisme devait m’apprendre à oublier que je dois être un citoyen du monde. » Et en 1759 : « Ce que je vous ai dit des excès du patriotisme n’était rien de plus qu’une considération générale : elle ne visait pas tant le Grenadier que mille exagérations qu’il me faut entendre ici tous les jours. D’une façon générale, je n’ai de l’amour de la patrie aucune idée, — il me chagrine de vous avouer ainsi ma honte, — tout au plus y vois-je une faiblesse héroïque, dont je me passe fort bien[1]. » Paroles célèbres, qu’on a souvent reprochées à Lessing, et bien à tort, car ni Klopstock ni Gleim ne sont au fond plus patriotes que lui, s’il s’agit de l’Allemagne considérée dans son ensemble. Personne presque ne l’était alors, et Lessing a au

  1. Julian Schmidt, II, 148-149.