Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme menant droit an chauvinisme, qu’il juge à la fois ridicule et odieux. C’est une sottise qui peut conduire à des crimes. « Entre tous les glorieux, dit-il, le glorieux de sa nationalité me paraît un sot accompli, tout comme le glorieux de sa naissance ou de sa richesse. Qu’est-ce qu’une nation ? Un grand jardin sans culture, plein de bonnes et de mauvaises herbes. Qui voudrait prendre en bloc la défense de cette multitude où les vices et les sottises se mêlent aux mérites et aux vertus ? Quel don Quichotte irait rompre des lances pour cette Dulcinée contre les autres nations[1] ? » Herder craint surtout l’esprit belliqueux, les revendications et les conquêtes auxquelles entraîne presque toujours un patriotisme ardent. Une guerre internationale est à ses yeux une guerre civile, une lutte fratricide : elle ne lui inspire qu’horreur et dégoût. Il se représente l’humanité comme une grande famille, et, sans plus ample informé, il admet qu’il y a place pour tous au foyer commun.

C’est qu’au fond, comme les autres philosophes, ses contemporains, Herder est optimiste dans sa conception de l’univers. Malgré les horreurs de la guerre de Sept ans, — dont il n’avait guère pu être témoin, — il croit aux harmonies providentielles de la nature. Voltaire seul avait jeté, avec Candide, une note discordante. Le sentiment général était d’avis, avec Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, que les maux de la société, la guerre comme les autres, proviennent surtout du fait de l’homme, de ses erreurs et de ses vices. Il ne tiendrait presque qu’à lui de

  1. Herder, Ueber das Wort und den Begriff der Humanität, Œuvres, XVII, p. 241.