Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffit[1]. » Si l’on ne savait que Herder est un philosophe cosmopolite, ne croirait-on pas entendre un patriote singulièrement jaloux de l’indépendance et de la grandeur de son pays ?

Même conclusion inattendue aux travaux de Herder sur le langage. Son maître Hamann, le bizarre auteur des Croisades d’un philologue, avait appelé de bonne heure son attention sur cet ordre de questions qui intéressent à la fois le philosophe et le littérateur. Plus tard, l’Académie de Berlin devait couronner un mémoire de Herder sur ce sujet : « Quelle est l’origine du langage ? » Les langues, selon Herder, ne sont pas des produits de la convention ou de l’art humain. Une langue est un tout organique qui vit, qui se développe et qui meurt comme un être vivant ; la langue d’un peuple, c’est, pour ainsi dire, l’àme même de ce peuple devenue visible et tangible. Son caractère, son tempérament, sa façon de penser et de sentir, son originalité s’y expriment au vif. Posséder une langue, c’est vraiment posséder du même coup l’esprit de toute une race. Et lorsqu’une nation est déjà vieille de plusieurs siècles, lorsqu’elle a, comme la France, l’Allemagne ou l’Angleterre, un long et glorieux passé derrière elle, l’évolution de sa langue donne la clef de son histoire ; car la langue ne reste jamais immobile, elle vit de la vie même de la nation. Quels sont les grands écrivains dont chaque peuple s’honore le plus ? Ceux dont la langue est le plus nationale, ceux qui ont le plus largement puisé au trésor populaire, ceux, en un mot, par la bouche desquels le

  1. Herder, Œuvres, XVIII, p. 160.