Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/184

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peuple même semble avoir parlé. Réflexions banales aujourd’hui, mais alors assez neuves, et dont Herder tire d’importantes conséquences. Tout d’abord, le premier devoir d’un écrivain est de bien connaître les ressources de sa langue, et de ne pas l’accuser de pauvreté, quand il devrait s’accuser lui-même d’ignorance. Que de richesses dorment enfouies dans la littérature allemande du moyen âge ! Herder en parle un peu de confiance, et comme par divination, plutôt que pour les avoir explorées lui-même. « Notre langue, dit-il, possède une poésie plus ancienne que celle des Espagnols, des Italiens, des Français et des Anglais. Seule, notre constitution politique est cause que ce champ est resté pendant des siècles sans être défriché[1]. » Il exhorte les jeunes poêtes à cultiver ce fond, dont ils tireront une moisson magnifique. Dans ces vieux poèmes oubliés, ils verront le génie allemand tel qu’il s’exprimait avant d’être déformé par l’influence latine : ils trouveront dans ce commerce la vigueur qui trop souvent leur fait défaut. Le conseil était bon. L’école romantique le suivit et s’en trouva bien.

Chaque nation pense comme elle parle et parle comme elle pense. Toutes les formes, toutes les particularités d’une langue ont leur raison d’être dans la nature des hommes qui l’ont peu à peu façonnée par un travail séculaire et inconscient ; toutes sont également précieuses. Prétendre réformer une langue comme on change une loi est une entreprise ridicule : lui enlever ses idiolismes, c’est lui ôter sa physionomie originale, c’est la défigurer pour

  1. Œuvres, XVIII, p. 112