Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/197

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n’était rien moins qu’exemplaire. Les mémoires du temps nous édifient sur ce point, et les historiens les plus récents, M. Biedermann, par exemple, ne font pas difficulté de l’avouer. Mais Herder ne prétend pas s’attacher à tel ou tel moment de l’histoire allemande : il peint l’Allemand idéal, l’Allemand en soi. Aussi bien, il ne nie pas les désordres de son siècle, trop éclatants et qui crevaient les yeux. Il les tourne ingénuement à l’avantage de sa thèse. Le vice allemand est choquant, grossier, brutal : c’est qu’il est d’emprunt, c’est qu’il n’est pas allemand. On peut sourire de cette conclusion ; mais Herder était sincère en l’écrivant, et beaucoup de ses lecteurs en y croyant. Ils n’entendaient pas raillerie là-dessus. N’est-ce pas une force pour une nation qu’un idéal de moralité où elle se reconnaît, et qu’elle a la confiance de pouvoir seule atteindre ?

Herder a exprimé sa pensée tout entière dans une Épître en vers qui parut seulement quelques années après sa mort, en 1812. Il n’avait pas cru pouvoir la publier en 1792, lorsqu’il l’écrivit, sans doute par crainte de la censure. Cette pièce, intitulée : la Gloire nationale allemande, est extrêmement curieuse[1]. M. Haym ne la goûte pas. Il la trouve à la fois trop violente et trop résignée. L’ironie de Herder lui paraît amère et désagréable. Le tableau qu’il trace de la misère allemande serre le cœur, et la consolation qu’il laisse entrevoir n’est guère qu’une continuation des souffrances. Herder, il est vrai, en dépit de sa brillante imagination,

  1. Œuvres, XVIII, p. 214-216.