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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/201

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entre ce qu’il doit à l’humanité et ce qu’il doit à sa patrie. L’Allemand n’a rien de pareil à craindre. Plus il travaille avec dévouement au bien de l’humanité entière, plus il est fidèle à l’essence même du génie allemand. Moins il se préoccupe des intérêts particuliers de son pays, et plus il contribue, en effet, à accomplir la destinée nationale.

Jetées çà et là à travers l’œuvre si touffue de Herder, ces idées ne se détachaient point avec la netteté qu’elles prennent ici, où nous les isolons du reste. À la lumière des événements qui ont suivi, nous voyons par avance les conséquences dont ces idées étaient grosses ; mais les contemporains, comme il arrive presque toujours, en subissaient l’influence sans le savoir. « Herder, dit fort bien Gervinus, a agi sur son temps à la manière d’un ferment. » Cette action ne se manifeste pas instantanément, surtout quand la masse où le ferment pénètre est considérable et peu homogène. Il doit s’écouler d’abord une période plus ou moins longue d’incubation et de travail latent. C’est ainsi que l’Allemagne ne s’aperçut point d’abord que son cosmopolitisme changeât de nature, sous l’influence des idées de Herder, ni qu’il perdît, par l’effet de l’esprit historique, son caractère abstrait et absolu, pour tendre insensiblement à se fondre dans le sentiment national. Plus tard seulement, et la transformation une fois accomplie, les patriotes de 1814 verront tout ce qu’ils doivent à Herder. Ce qu’ils diront de la langue, du caractère, de la destinée et de la mission de l’Allemagne, ils l’auront appris à son école. Mais avant la Révolution française, personne en Allemagne, et Herder moins que tout