Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/207

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souverain (l’empereur), et des lois qui déterminent notre constitution, nos droits et nos devoirs… En force et en puissance, nous sommes le premier pays de l’Europe, dont les couronnes royales brillent sur des têtes allemandes. Et pourtant, depuis des siècles, notre situation politique est une énigme, nous sommes la proie de nos voisins et l’objet de leurs railleries. Nous sommes divisés entre nous, et impuissants à cause de cette division ; assez forts pour nous faire du mal à nous-mêmes, incapables de nous protéger, insensibles à l’honneur de notre nom, indifférents à l’égard de notre souverain, défiants les uns envers les autres, — un grand peuple, et pourtant un peuple méprisé, — un peuple qui pourrait être heureux, et cependant un objet de pitié. »

Moser met le doigt sur la plaie. Pour découvrir la cause du mal, il remonte jusqu’au caractère même des Allemands. « Chaque nation, dit-il, a un trait distinctif, un mobile qu’elle suit de préférence. Ce qui caractérise l’Allemand, c’est l’obéissance. » Où trouver, dit un autre publiciste, renchérissant sur Moser, où trouver un génie dont les ordres lassent notre servilité[1] ? De fait, l’Allemagne fourmillait d’insupportables petits tyrans. Aucun ne se heurte, je ne dis pas à une insurrection, mais seulement à une ferme et respectueuse résistance. L’obéissance au prince, si fantasque ou si odieux qu’il soit, est un dogme auquel nul n’ose toucher. « Obéissez, ne raisonnez pas, » tel est le premier article du catéchisme politique dans tous les États allemands au XVIIIe siècle. Kant fait un grand mérite à Frédéric II

  1. Biedermann, I, 160-1.