Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/208

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d’avoir dit : « Raisonnez si vous voulez, pourvu que vous obéissez. »

Ce trait de caractère est assurément remarquable en un temps où la raison se croyait en droit d’éprouver toutes les croyances et tous les sentiments. Moser en fait honneur au tempérament national. Il n’a pas tort, et cette disposition naturelle avait été certainement fortifiée, on pourrait dire sanctifiée, pendant la longue période des guerres de religion. Les pasteurs luthériens et calvinistes avaient alors rivalise de zèle avec le clergé catholique pour enseigner la soumission absolue à la volonté du prince. Il s’agissait de concentrer la plus grande somme de force possible aux mains de leurs défenseurs séculiers.

Enfin, il y a dans la nature allemande un respect pour ainsi dire philosophique et mystique de la force et de l’autorité. « Pourquoi obéit-on aux princes ? » demande en 1781, un collaborateur prudemment anonyme du Deutsches Museum. Remarquez cette date : 1781. Dix ans plus tôt, nul n’aurait osé poser la question en Allemagne ; dix ans plus tard, aucun gouvernement ne l’aurait laissée passer. « Est-ce en vertu d’un contrat ? » Non, évidemment. Si les princes n’avaient que le pouvoir qu’on leur concède de bon gré, ils ne voudraient ni ne pourraient être princes. Nous obéissons aux princes parce qu’il le faut, parce qu’ils sont les plus forts. Mais le droit du plus fort est-il simplement l’expression de la violence ? Toute l’autorité qui se fonde sur lui n’est-elle qu’usurpation et abus de la force ? Ou bien n’est-ce pas une loi réelle de la nature que le plus faible obéisse au plus fort ? un droit réel, qui se fonde sur leurs besoins et sur leurs rapports