Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/21

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était auparavant[1] : l’industrie était anéantie, le commerce réduit au strict nécessaire ; les mœurs du peuple grossières, brutales et cyniques, celles de la noblesse dissolues. Plus d’instruction primaire dans les campagnes, où le clergé était incapable de suppléer à l’absence d’instituteurs. Les universités, fort déchues, peu fréquentées, souffraient des plus énormes abus, et la « bestialité » des étudiants n’avait d’égale que la médiocrité et le pédantisme des maîtres. Partout la misère, l’ignorance, l’ivrognerie, et là où quelque richesse subsistait, le besoin de jouir et de s’étourdir : l’art et la littérature, au niveau de leur public. Comparez à cet état lamentable la France de Louis XIV, l’Angleterre de la Restauration et de Guillaume III : vous vous expliquerez alors que l’Allemagne ait paru barbare à ses deux voisines, et surtout qu’elle ait subi, pendant de longues années, l’attraction irrésistible d’une culture supérieure. Le contraste était trop violent entre ces cours polies et brillantes, et la rusticité indigente des cours d’Allemagne ; entre les chefs-d’œuvre de langues épanouies en leur maturité littéraire, et les balbutiements d’une langue qui, oublieuse de ses propres trésors, semblait retombée en enfance. L’allemand n’était guère usité que par le peuple et les domestiques : les érudits écrivaient en latin, les hautes classes ne parlaient que français. Ce mépris, cet abandon de la langue nationale est un signe autrement grave que le morcellement territorial. L’Allemagne évidemment était atteinte dans ce

  1. V. BIEDERMANN, I, 339-340 ; II, 1, p. 30-32.