Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/216

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taine. Ce contingent disparate s’assemblait directement et se battait piteusement. Il avait fait triste mine à Rosbach, à la grande joie de Frédéric II et de ses soldats. « La Russie, dit encore M. de Hofenfels, ne peut pas tolérer que l’Autriche annexe douze millions d’Allemands, car son voisin allemand lui deviendrait alors plus redoutable que le Turc[1]. »

Ces mots sont déjà significatifs : un mémoire de M. de Hertzberg, rédigé sur les instructions de Frédéric II, est encore plus explicite. Selon ce ministre prussien, la paix de Westphalie n’avait pas été payée trop cher au prix de trente ans d’une guerre épouvantable, puisqu’elle avait établi un équilibre européen dont la première condition était l’impuissance politique de l’Allemagne. Il invoque la garantie de l’étranger, il réclame son intervention pour maintenir cet équilibre, il avertit la France et la Russie du danger que leur ferait courir une Allemagne politiquement unifiée, il démontre qu’un empire puissant est incompatible avec la paix de l’Europe ! Et ce ne sont pas là des communications confidentielles transmises de cabinet à cabinet sous le sceau du secret, à la poursuite d’ambitions inavouables. Ce sont des arguments patriotiques destinés à agir sur l’opinion allemande, et à prouver que la Ligue des princes mettait l’intérêt national avant tout !

Par une singulière évolution de l’esprit public, les mêmes raisons qui ont barré la route à l’Autriche au XVIIIe siècle ont frayé la voie à la Prusse au XIXe. En 1785, on indisposait les esprits contre l’Autriche en leur montrant que ses projets menaient à l’unité

  1. Cité par Klüpfel, p. 268.