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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/52

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Il devait l’être, car les collègues de Thomasius étaient outrés. Les quatre facultés portent plainte contre lui, sous prétexte qu’en les outrageant il a insulté le prince. Thomasius ne manquait pas d’amis, et tint bon quelque temps. Mais ayant fait cause commune avec les piétistes de Dresde, il perd ses puissants protecteurs ; il se trouve obligé d’interrompre ses leçons et enfin de se réfugier dans les États de l’électeur de Brandebourg. Installé à Halle, il reprend son cours et son journal, et la satire recommence de plus belle. Thomasius va au plus pressé. Il prend beaucoup de peine pour tirer les étudiants de leur ignorance, de leur brutalité, de leurs mœurs crapuleuses. Il ne se lasse pas de leur demander des exercices de style en allemand. Il leur explique les écrivains allemands, il s’efforce de leur donner les moyens et le goût d’écrire dans leur langue maternelle[1]. Puis, suivant l’exemple de Descartes, il explique à ses auditeurs l’histoire de son esprit[2]. Vers l’âge de vingt ans, dit-il, je m’aperçus que les théologiens s’occupent de beaucoup de choses qui ne sont pas de la théologie, et que novateurs et hérétiques ne sont pas des termes nécessairement synonymes. Je pensai donc que j’étais un être doué de raison aussi bien que les autres hommes, et que ce serait pécher contre la bonté du Créateur que de me laisser conduire par les autres comme une bête qu’on mène par la bride. C’est pourquoi je fermai les yeux, de crainte que l’éclat de l’autorité humaine ne les éblouît, et je ne fis plus

  1. Hettner, III, p. 109 sqq.
  2. Thomasius. Institutionum jurisprudentiæ divinæ libri tres, Halæ, 1717, p. 8.