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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/100

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Guinée, d’Australie, d’Afrique, etc., on parle d’un ancêtre commun, mi-humain, mi-animal, d’où sont issus à la fois le clan et l’espèce qui en est le totem. Parfois même cet ancêtre a donné naissance à deux jumeaux, l’un animal, l’autre humain, à qui remontent respectivement l’espèce et le clan[1]. Tantôt, comme dans nombre de tribus de l’Afrique occidentale, le mythe conte que, dans un grand danger, un animal est venu au secours de l’ancêtre ou du chef du clan, et l’a sauvé. Il fuyait, par exemple, poursuivi par des ennemis qui allaient l’atteindre, et il était arrêté par un fleuve, lorsqu’un crocodile secourable apparut, le prit sur son dos, et le porta sain et sauf à l’autre rive. De là le respect et les égards que les membres du clan témoignent aux crocodiles.

De la sorte, les mythes, même les plus importants, sont souvent nés de la projection en arrière, dans l’Alchera, dans la période des Dema, dans cette surnature en un mot « où l’extraordinaire est la règle », de quelque chose d’actuellement existant, d’une institution, de relations entre un groupe humain et une certaine espèce animale ou végétale, d’un trait saillant de la contrée, etc. Le mythe part de ces données, et les transfigure. Elles y deviennent une « création » des ancêtres surhumains, des héros civilisateurs, des Dema. Sous cette forme nouvelle, elles inspirent un respect quasi religieux, et elles fournissent le principe de leur propre explication. Ainsi, comme dans le mythe rapporté par le capitaine Rattray, le « précédent » qui rend compte d’une institution, ne fait souvent, à la lettre, que la reproduire elle-même, et transformer cette reproduction en un original de la période héroïque. Ailleurs, on verra des gens moins primitifs adorer des dieux faits en grande partie à leur propre image.

Ce qui rend possible ce processus, ce qui empêche de reconnaître dans le mythe les données de fait d’où il provient, ce qui lui imprime son caractère sacré, ce qui lui confère enfin son autorité, sa puissance mystique, c’est ce que M. Wirz trouve désigné chez les Marind-anim par le terme de dema : l’impression faite par l’insolite, le surnaturel ;

  1. C. G. and B. Z. Seligman, The pagan tribes of the nilotic Sudan, p. 143 (Dinka).