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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/121

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comme M. Glotz l’a bien montré, les avait connues[1]. On les rencontre aussi dans nombre de sociétés inférieures. Pourtant, il sera prudent de ne pas admettre d’avance l’identité des faits dans des sociétés très différentes les unes des autres.

Un premier trait s’est imposé partout à l’attention des observateurs : c’est la confiance entière, invincible, on pourrait dire la foi inébranlable que les primitifs ont en l’ordalie. Les missionnaires italiens du Congo, au xviie siècle, ont déjà insisté sur ce point. « J’étais stupéfait en moi-même, et je ne pouvais me persuader que des hommes, si grossière que fût leur ignorance, pussent prêter une telle foi à des supercheries si évidentes, et ne pas admettre au moins quelqu’une des nombreuses raisons que les missionnaires leur faisaient valoir chaque jour à ce sujet… Mais, au lieu de se rendre, ils haussent les épaules, et ils répondent : il est impossible que nos épreuves nous trompent ; cela ne se peut pas, cela ne se peut pas[2] ! »

(M. P., pages 244-245.)

La foi en l’ordalie.

D’où vient cette foi universelle si ferme, qui scandalise l’Européen ? Comment le noir, souvent si avisé et même si subtil, quand il s’agit de défendre ses intérêts, est-il si aveugle lorsque sa vie est mise en danger par l’ordalie ? Comment ne voit-il pas qu’en acceptant ces épreuves, il se livre pieds et poings liés au « docteur » qui prépare la coupe empoisonnée, au chef dont le docteur est l’instrument, ou à ses propres ennemis qui le soudoient ? Quand on lui signale ce péril trop évident, il hausse les épaules ou il s’indigne. Lorsqu’on insiste sur l’absurdité de la procédure, il fait la sourde oreille. Aucun argument n’a de prise.

L’Européen ne peut pas s’empêcher de tenir compte, avant tout, des effets physiologiques du poison. Par suite, les résultats de l’épreuve varieront pour lui en fonction de la violence et de la quantité de la drogue introduite dans

  1. G. Glotz, L’ordalie dans la Grèce primitive, Paris, 1909.
  2. Cavazzi, Istorica descrizione de tre regni di Congo, Matamba ed Angola, p. 97.