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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/120

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Autre signe grave : jouir d’un bonheur insolent, amasser du bien, devenir très riche, réussir dans tout ce qu’on entreprend. Une prospérité qui ne se dément jamais ne peut s’expliquer que par des gages donnés à des puissances mauvaises. Ces gages, ce sont, presque toujours, un frère, une mère, un enfant qu’on leur a livrés. Ces sorciers-là sont de la pire espèce, et très redoutés.

(S. N., pages 183-184.)

Est pareillement suspect l’homme qui devient très vieux, et qui survit seul à sa génération. Comment a-t-il réussi à prolonger ainsi ses jours, tandis que tous ses contemporains ont disparu ? Si quelque malheur survient, les soupçons se porteront aussitôt sur lui. « Kiala, raconte Bentley, le chef du village, avait des parents à Mpete, à deux heures de distance ; l’un d’eux mourut. L’accusation d’avoir causé sa mort par sorcellerie tomba sur un vieillard de Mpete. Kiala et les siens insistèrent pour qu’il bût le nkasa. Aucun devin ne l’avait dénoncé : il n’y avait pas eu d’opération le désignant. Mais ce vieillard avait survécu à tous ceux de sa génération et les gens disaient qu’il avait survécu parce qu’il avait causé leur mort à tous : il était le sorcier, donc, naturellement, il survivait ! Nous avertîmes Kiala et, par crainte du gouvernement, il n’osa pas laisser les choses suivre leur cours habituel. Il se résolut donc à mettre à mort ce vieillard, sans prendre la responsabilité de le tuer. Une nuit de lune, il arriva à Mpete avec une petite troupe, se saisit du vieillard dans sa case et l’enchaîna. On creusa un trou devant la case, on y mit le vieillard, et on l’enterra vivant. S’il y mourait, ce serait son affaire ; personne ne l’aurait tué[1]. »

(M. P., page 463.)

Les ordalies.

L’histoire du moyen âge nous a rendu familières les épreuves, apparentées de près à la divination, que l’on appelle jugements de Dieu, ou ordalies. L’antiquité grecque,

  1. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, II, p. 335-336.