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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/160

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Inversement, quand ces perturbations apparaissent, on en infère qu’un inceste a dû être commis. « À Palande, on affirme que lorsqu’une citrouille, ou un concombre, produisent d’une façon insolite, par exemple, portent deux fruits sur la même tige, cela prouve que deux personnes qui ne peuvent pas se marier l’une à l’autre ont eu des relations sexuelles… Lorsque les cerfs, les porcs sauvages et les buffles font sans cesse irruption à travers la haie qui entoure la plantation, et endommagent celle-ci, on dit la même chose[1]. »

(S. N., pages 235-236.)

Pas de « prohibition » de l’inceste.

George Brown rapporte encore qu’à Samoa « une personne coupable d’inceste était mise à la torture et tuée par ses proches. Ils disaient que, ce faisant, ils se tuaient eux-mêmes[2]. » Expression intéressante de la solidarité du groupe familial. L’inceste a été une autopollution, et la mise à mort de son auteur par les membres de son propre groupe est une sorte de suicide partiel.

Si l’on prend les choses de ce biais, c’est-à-dire si on les regarde du point de vue où sont placés ces primitifs, une conséquence importante apparaît. Le fameux problème de la prohibition de l’inceste, cette vexata quæstio, dont les ethnographes et les sociologues ont tant cherché la solution, n’en comporte aucune. Il n’y a pas lieu de le poser. Dans les sociétés dont nous venons de parler, il est vain de se demander pour quelle raison l’inceste est prohibé : cette prohibition n’existe pas. Non pas qu’il soit licite ou toléré (sauf, comme on le verra tout à l’heure, en quelques circonstances exceptionnelles). Mais on ne songe pas à l’interdire. C’est quelque chose qui n’arrive pas. Ou, si par impossible cela arrive, c’est quelque chose d’inouï, un monstrum, une transgression qui répand l’horreur et l’effroi. Les sociétés primitives connaissent-elles une prohibition de l’autophagie, ou du fratricide ? Elles n’ont ni plus ni moins de raison de prohiber l’inceste.

  1. A. C. Kruyt, Measa, II. T. L. V., LXXV, p. 81 (1919).
  2. G. Brown, Melanesians and Polynesians, p. 411.